Libérer l’écrit en 3ème Prépa Pro

, par Kuhnmunch Hélène

Les difficultés langagières de nos élèves de 3ème prépa pro sont parfois telles qu’ils se refusent souvent à se lancer dans la rédaction, ne serait-ce que d’un paragraphe de quelques lignes. C’était particulièrement problématique en ce début d’année dans ma classe de 3ème prépa pro.

Alors que j’ai habituellement des élèves dont l’inscription en 3ème prépa pro est vécue comme un nouveau départ dans leur scolarité, il y avait, dans cette classe, un nombre important d’élèves qui n’adhérait pas à l’idée d’être orientés en lycée professionnel.

Partant de ce double diagnostic, j’ai alors décidé de construire un projet qui leur permette de se construire une image positive du lycée professionnel et de prendre confiance en leur capacités rédactionnelles.

Ce projet a été mené sur la période de septembre aux vacances de novembre. Pour les y engager, j’ai commencé par interroger les élèves sur la « réputation » de notre lycée, pensant ainsi toucher ce qui les empêchait de s’engager dans la construction de leur orientation. Après avoir recueilli leurs représentations, je leur ai proposé d’enquêter au sein du lycée pour nous faire notre propre idée : l’objectif de cette enquête serait la réalisation d’un reportage en mots et en photos que nous publierions sur le site de notre lycée. Ce projet allait être mené en interdisciplinarité avec le français, les arts plastiques, la découverte professionnelle, l’enseignement moral et civique et l’éducation aux médias et à l’information. Mais je m’attacherai ici à présenter le cheminement en français des élèves dans ce projet.

Voici une présentation des objectifs de cette séquence :

Séquence 2 : Construire l’information pour mieux la lire.
Cette séquence s’inscrit dans :

  • l’objet d’étude « se représenter, se raconter »
  • l’Éducation aux Médias et à l’Information, et dans la continuité du travail mené en 4ème sur les formes médiatiques à travers le questionnement du programme de français : « Agir sur le monde : informer, s’informer, déformer ? »
  • le Parcours citoyen, par l’acquisition d’une culture de l’engagement, par l’implication dans un projet selon des modes collaboratifs de travail.



DOMINANTE : Expression écrite.
PROBLÉMATIQUE : Comment la découverte d’autrui amène-t-elle à se découvrir soi-même ?
OBJECTIFS : Devenir un élève de LP, se positionner en fonction de ce que l’on perçoit de l’expérience d’autres élèves.
PROJET - EPI : en collaboration avec les maths, la découverte Professionnelle et les arts plastiques, réaliser un reportage en mots et en photos.
COMPÉTENCES : S’impliquer dans un projet en collaboration avec les autres sur des questions morales et civiques faisant débat dans la société / travailler en équipe : participer de façon constructive à des échanges oraux/ raconter, décrire et expliquer à l’écrit/ raisonner, justifier une démarche et les choix effectués / hiérarchiser l’info. / gérer les étapes d’une production écrite : du brouillon, à la construction d’un plan, à la sélection des meilleures formulations ; en passant par l’enrichissement sur les plans lexicaux et orthographiques.

Lors de cette séquence de français, je me suis tout particulièrement attachée à développer chez les élèves la compétence qui consiste à gérer les étapes d’une production écrite : du brouillon à la construction d’un plan, à la sélection des meilleures formulations en passant par l’enrichissement sur les plans lexicaux et orthographiques.

Mon objectif est donc non seulement de décomplexer les élèves sur le plan de l’écriture mais aussi de leur faire admettre qu’un texte se rédige progressivement, en plusieurs jets et étapes. L’objectif opérationnel est donc la rédaction d’un texte commun, selon des modalités collaboratives de travail qui vont néanmoins exiger des phases d’écriture individuelles.

Première difficulté : leur faire écrire un premier jet ! Pour vaincre la page blanche, je décide de partir de l’observation. Nous allons en petits groupes sur le terrain, c’est à dire dans les ateliers, puisqu’il s’agit d’écrire un reportage sur notre lycée.

Mais avant de partir enquêter, en classe, nous nous fixons des objectifs :

Avant de partir sur le terrain, je leur distribue des petits carnets « de reporters ». Pour les stimuler dans leur observation, je leur donne comme consigne de préparer dans leurs carnets une page par sens. Il y a donc une page pour « ce que je vois », une pour « ce que je sens », une pour « ce que je touche », une pour « ce que j’entends », une pour « ce que je goute ». Ils ont pour mission de rapporter un maximum de mots, c’est-à-dire de la matière pour leur futur texte.

On part donc de la cellule la plus simple du texte : le mot, en suscitant le lexique par les sens. Ils ont une contrainte supplémentaire : faire un « zoom » lors de leur observation. C’est-à-dire revenir de leur enquête avec la description la plus minutieuse possible d’un élément très précis de leur choix.

Nous centrons notre reportage sur une classe, celle des CAP Agents Polyvalents de Restauration qui travaillent à la fois en cuisine et au potager. Les élèves y déambulent donc carnets et stylos en main et prennent un maximum de notes, leur devise étant « les mots comme des yeux ». Ils prennent très au sérieux leur mission.

Puis, de retour en classe, il va déjà falloir écrire… Il y a trois groupes d’élèves, chaque groupe devant aboutir à la rédaction d’une description d’une quinzaine de ligne. A l’intérieur de chaque groupe, chaque élève va d’abord rédiger seul cette description.

Problème : comment aboutir à un texte commun, si chacun écrit comme il veut ? Solution : on décide de tous suivre le même plan. Et donc de construire préalablement à l’écriture, la structure du texte.

Voici le plan décidé par le groupe qui avait en charge la cuisine :

Les élèves conviennent donc par cette étape qu’on n’écrit pas au fil de la plume et qu’on organise son texte.

Ils se lancent ensuite dans la rédaction, et – miracle - tous, même les plus en difficulté, écrivent :

Les ratures témoignent des hésitations, reformulations et corrections :

Certains sont même très inspirés :

Si on a déjà vaincu la page blanche, la guerre n’est pas gagnée, car tout ceci mérite d’être amélioré. Comment leur faire accepter après cet effort fourni de retravailler leur texte ?

Je leur demande de saisir leur texte sur WORD, en l’améliorant. Le passage à l’outil informatique permet d’accepter de retravailler son texte, selon des consignes que je donne à chacun pour enrichir le lexique, corriger l’orthographe et améliorer la syntaxe.

Puis, je leur distribue un bout-à-bout de tous les textes et leur demande de surligner les meilleurs passages :

On y va parfois de manière assez radicale pour sélectionner ce qui sembla être les meilleures formulations :

Il faut ensuite se mettre d’accord pour sélectionner ces meilleurs passages en en débattant tous ensemble. On aboutit ainsi, après quelques ajustements, à un texte commun que l’on va soumettre au jugement des autres groupes qui ont, eux, pris en charge une autre partie du texte final.

C’est ce que j’ai appelé la « conférence de rédaction », et qui est en fait une phase réflexive de travail : les élèves devant aboutir à un bilan « points forts / points faibles » de leurs textes.

Par cette phase, les élèves, identifient des stratégies d’écriture :

Il s’agit aussi de donner un sens global à notre article :

On remarque que pour les élèves, il s’agit désormais de valoriser le lycée professionnel. Ils sont en train de changer de point de vue et de s’y intégrer.

J’ai également profité de ce projet pour préparer les élèves à l’oral du DNB. Lors de cet oral, plusieurs élèves m’ont avoué qu’ils étaient convaincus au commencement de ce projet que je les surestimais pour les lancer dans un projet pareil. Ils ont souvent déclaré être très fiers d’avoir abouti ce travail d’écriture, et avoir découvert qu’ils étaient finalement capables d’écrire.

Paradoxalement, c’est donc en s’engageant dans cet ambitieux projet d’écriture (mais selon des modalités collaboratives de travail) que les élèves ont commencé à dépasser les résistances développées à l’égard de toute production écrite. Si le projet est un ressort pédagogique efficient, il faudra ensuite habituer les élèves à écrire seuls, selon des modalités individuelles de travail en nous appuyant sur la confiance et l’exemple donnés lors de la rédaction de cet article, consultable ici :

http://www.lyc-france-colombes.ac-versailles.fr/spip.php?article265

Hélène Kuhnmunch

PLP Lettres-Histoire et formatrice

Lycée Anatole France

Colombes

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